Le travail le plus dur peut être une bénédiction

De Deep Adaptation - Adaption radicale

Kaat Vander Straeten (Transition Wayland) - Transition US, 7 décembre 2020 - republié dans Transition Network le 6 Janvier 2021
traduction : Johann Bourquenez

-

Voici deux histoires qui se croisent : l'histoire d'un projet appelé "All Things Mortal" ("Toutes choses mortelles"), et l'histoire de la mort et des funérailles de notre amie et collègue en transition. Ce sont les deux faces d'une même pièce, comme la vie et la mort, et la joie et le chagrin. Ni l'une ni l'autre n'auraient pu se dérouler comme elles l'ont fait sans [le mouvement des villes en] Transition.

Rebecca venait à peine de s'installer dans notre ville lorsqu'elle est venue à la projection de "In Transition 2.0" ("En Transition 2.0)". Notre initiative, Transition Wayland ("Wayland en transition"), était présentée dans ce documentaire, alors nous avions marqué le coup. Nous avions demandé à des lycéens de faire des interviews après la projection, et il y en a une avec Rebecca. Avec ses boucles rouges qui ondulent, elle dit à la caméra qu'elle va venir. Et c'est ce qu'elle a fait, une semaine plus tard, à la réunion suivante de notre groupe de base.

Elle est instantanément devenue une complice de premier plan. Elle a ouvert sa maison à faible consommation d'énergie pour les visites de la Journée de la Terre, a aidé à concevoir et à planter un jardin en permaculture, a récupéré une cargaison de bacs pour la collecte des eaux de pluie dans toute la ville, a écrit des articles d'opinion pour notre journal local... Nous sommes encore surpris d'avoir fait tant de choses ensemble en seulement deux ans.

Une de ses contributions majeures à la transition de notre ville concerne le travail intérieur. Elle a créé un programme appelé All Things Mortal, avec des rassemblements pour parler de la mort, des présentations et des ateliers sur les funérailles à domicile et les enterrements écologiques.

Quand elle et moi avons proposé All Things Mortal à notre groupe de base, tous les autres ont hésité. Ils trouvaient que cela donnerait à notre groupe une image de "cinglés". Ils ont argumentés que ce genre de travail n'est pas un travail de transition - que le travail de transition concerne le changement climatique et l'efficacité énergétique. Que c'est trop déprimant et que cela ne contribue pas du tout à la construction de la communauté.

Nous avons passé quelques heures à décortiquer tout cela. À la fin, bien que tous n'étaient pas persuadés que ce genre de travail soit peut-être la partie la plus fondamentale de notre mission, tous ont donné le feu vert, "assez sûr pour essayer", et nous nous sommes mis au travail.

Avec de joyeuses invitations au "Café et Gâteau de la Mort" (avec une image montrant un corbeau en train de picorer un gâteau), nous avons touché ceux qui remettaient déjà en question la conception de la mort de notre culture dominante, mais qui devaient le faire de manière isolée. Nous avons créé un espace sûr pour qu'ils puissent parler, et entendre les autres. Avec des ateliers sur les enterrements à domicile, nous avons donné aux gens des ressources pratiques pour mettre en pratique leurs désirs d'une "bonne mort". Nous les avons mis en contact les uns aux autres pour trouver un soutien. Grâce à des articles dans la presse locale sur ces rassemblements, nous avons ouvert l'esprit de beaucoup de personnes à une manière différente d'appréhender ce qui est. Nous avons également sensibilisé les fonctionnaires locaux, dont on a besoin pour organiser des funérailles à domicile.

Aucune de ces personnes ne s'était rapprochée de notre programme de transition avant ça. Ce fut un grand travail culturel pour développer notre courage, notre imagination et notre communauté pour des temps plus difficiles. Et ces temps difficiles sont arrivés trop tôt pour nous, lorsque quelques mois plus tard, et à peine deux ans après notre première rencontre, Rebecca a été diagnostiquée avec une tumeur au cerveau.

En l'espace de deux semaines, elle n'était plus vraiment avec nous, en esprit. Grâce à All Things Mortal, notre groupe connaissait ses souhaits : mourir chez elle, avoir des funérailles à domicile et un enterrement vert. Elle n'avait pas encore fait part de ces souhaits à ses amis plus anciens et à sa fille, et nous sommes donc devenus ses tendres porte-parole.

Puis, pendant dix mois, nous avons pris en charge une partie de ses soins, en nous occupant de toutes les choses pratiques qui étaient nécessaires pour qu'elle reste à la maison, comme les courses. Nous lui avons rendu visite tous les jours, désherbé son jardin, promené son chien. Il y avait toujours une rangée de voitures et de vélos garés devant sa maison.

Les rares fois où elle a été lucide, elle nous a dit que c'était ce qu'elle voulait - pas seulement pour elle, mais pour nous, ses amis, et pour la communauté en général. Elle disait que c'était là l'enseignement d'un véritable aîné : un jour, ce sera vous, ce sera tous ceux que vous aimez. C'est pour cela que vous les aimez. Restez proches - ne vous détournez pas. Regardez bien. Faites passer le message. Tissez la toile de la communauté.

C'est ce que nous avons fait, dans cet ordre. D'abord : rester proche, regarder attentivement. Autour d'elle, les membres de notre sympathique équipe de Transition sont devenus des amis proches. Face à une catastrophe personnelle, nous avons dû faire face à nos propres démons et nous l'avons fait ensemble. Nous avons également dû faire face à une importante sollicitation de notre temps et de nos ressources, à un changement soudain de ce que nous pensions être notre travail, mais nous avons fait preuve de résilience et d'adaptation, et nous avons abandonné la plupart de nos projets orientés vers l'extérieur.

Rebecca l'a vu, et après quelques mois, elle nous a présenté un défi, celui qui nous ferait passer le mot, tisser la toile. Elle nous a demandé de construire son cercueil.

A chaque fois que j'y pense, je suis sidérée de voir à quel point elle était intelligente ! Elle a demandé une simple caisse en pin blanc local, sans métal. Elle savait, bien sûr, que nous n'y connaissions rien en menuiserie. Et elle savait donc qu'il nous faudrait demander de l'aide, et nous ouvrir à nouveau. Assez d'autosuffisance ! La communauté !

L'ami d'un ami a proposé son atelier, un menuisier local s'est porté volontaire pour aider à réaliser tous les assemblages. D'autres ont trouvé et donné les planches de pin et la colle. Nous avons eu accès à l'atelier pendant trois jours très intenses au cours desquels nous avons construit le cercueil. Certains d'entre nous étaient là de tôt le matin jusqu'à tard le soir. Tom, le menuisier qui n'avait jamais rencontré Rebecca mais qui était complètement époustouflé par ce que nous faisions, y a passé le plus de temps. La nouvelle s'est répandue. La boutique était au milieu de la ville et les gens ont commencé à passer pour donner ce qu'ils pouvaient : un coup de main, des encouragements et des conseils, une bénédiction, un déjeuner et des collations. Au final, vingt-et-une personnes ont scié, poncé, collé, et même simplement touché cette boîte, et l'ont rendue magnifique.

Magnifiques aussi sont toutes les histoires qui ont été racontées autour d'elle au fur et à mesure qu'elle prenait forme. Les gens sont venus nous raconter des histoires sur Rebecca - comment elle a toujours fait du bénévolat dans les bureaux de vote, comment elle a aidé son quartier à faire face à une controverse sur le port d'armes, et de vieux amis nous ont raconté ses nombreuses vies avant qu'elle ne déménage à Wayland.

Nous avons également partagé des histoires d'une époque où ce genre de choses - mourir chez soi, construire un cercueil commun, une veillée mortuaire - était courant, et nous nous sommes demandés comment cela était devenu un tabou. Il y avait des histoires dures de mort horrible et des histoires dures de belle mort. Après un certain temps, nous avons commencé à raconter comment nous aimerions partir nous-mêmes. Nous avons beaucoup ri. Et toujours il y avait le travail, avec nos mains, nos marteaux et nos ciseaux, et l'odeur des copeaux de bois et de la colle.

Depuis le magasin, nous nous sommes dispersés pour visiter le service de santé de la ville, le greffier, le chef de la police et le directeur du cimetière. Nous leur avons parlé de ce qui se passait, du fait que nous allions avoir des funérailles à domicile, et de la façon dont ils devaient nous aider à remplir des papiers et des permis inhabituels pour le transport et l'enterrement. Tout cela était nouveau pour eux aussi, mais ils étaient tous ouverts d'esprit, reconnaissants et serviables - après tout, ils connaissaient et aimaient Rebecca.

En apparence, nous avions mis All Things Mortal en veilleuse, mais en réalité, le travail sur le changement de la culture de la mort s'est poursuivi, en planifiant le premier enterrement à domicile dans notre ville depuis longtemps. Les funérailles à domicile sont une autre histoire, plus privée. Je voudrais juste dire que, sans qu'on lui ait demandé, le chef de la police a envoyé des voitures de patrouille pour escorter notre caravane funéraire, le fourgon avec le cercueil en évidence, et le directeur du cimetière nous a permis de combler la tombe nous-mêmes.

Plusieurs mois après l'enterrement de Rebecca, quelqu'un que je ne connaissais pas m'a approché à l'épicerie et m'a demandé : "Étiez-vous dans ce groupe qui a construit ce cercueil ?"

Cette histoire est encore une histoire de notre ville. C'est une légende.

Rebecca est venue nous voir et nous avons passé des années ensemble grâce à la Transition. L'esprit d'ouverture, d'expérimentation courageuse et de résilience de la Transition nous permet de faire et de partager le travail le plus difficile et le plus gratifiant. Et le style de vie de la Transition a la profondeur et la largeur nécessaires pour embrasser toute la gamme des deuils, personnels et intimes, ainsi que les amitiés de groupe et l'apprentissage communautaire.

Ce n'est rien de moins qu'une bénédiction.